Récits d'ailleurs 
                         
Mon ptit coin de Fantasy

    

Livret deux : Dans l'Antique Forêt de Brye.
 
Chapitre neuf : La nuit del'Appel (2).

Dès le départ des Premiers, l’Eliathan serait privé de protection. Combien de temps leur restait-il pour atteindre l’antique forêt de Brye ? Trop peu sans doute. Ainsi débuta ce que les Gris nommeraient par la suite la Chevauchée des Damnés. Impatients, les guerriers crevèrent leurs montures sous eux. Ils rallièrent en chemin les Commanderies afin d’étoffer leur force.
Heureusement, l’Appel perdura plusieurs jours. Ce qui leur offrit le délai qu’il leur manquait. Puis il s’éteignit, le matin même. Depuis l’angoisse étreignait l’émissaire de la Shaïa Naharashi Elivashavitara. Lorsque le Mystic Mondolini aperçut les lueurs des incendies dans l’obscurité nocturne, une folie meurtrière s’empara de lui. Ivre de fureur, la troupe s’élança au grand galop.
A présent, une petite voix obstinée ne cessait de lui murmurer qu’il avait failli. Que l’Eliathan avait péri sous les coups des hommes-poissons. A moins qu’il ne se trouvât en route pour Yrathiel, bientôt livré au démon Ghaisus par les tribus des Hauts Fonds. Des pensées assassines agitaient son esprit. Nul n’osait lui adresser la parole.
En d’autres lieux, les varts du troisième Clan, rendus muets par le doute affreux du désastre, massacraient chaque créature qui s’aventurait à les affronter. Le fer bleui des Khannas se teinta d’écarlate, ainsi que les plastrons et les dossières d’ordinaire étincelants. La mort marchait dans leur sillage. La matinée était déjà bien entamée lorsqu’une importante troupe d’oégirs leur tendit une embuscade, durant la traversée d’un amoncellement de grés moussus. Les féroces combattants des hauts fonds se jetèrent sur les Hommes Gris en hurlant. Seulement ils brandissaient de courts épieux, durcis au feu et le combat fut bref. Avec un calme terrible, les Protecteurs s’adossèrent dos à dos. Ils firent front à plus du double d’assaillants. Leurs gestes avaient la souplesse et la précision chirurgicale d’émérites épéistes. Les Khannas tranchèrent des membres, des têtes, éventrèrent des poitrines offertes, brisèrent les vies avec une facilité démoniaque. Les oégirs moururent jusqu’au dernier.
Au même moment, Yvan pénétrait dans la Ronde des Arbres, accompagnés de ses fidèles lieutenants. Ils ne trouvèrent que ruines et désolation en cet endroit où s’était dressé en toute magnificence l’assemblée de la Première et des peuples sylvestres. L’herbe rase, perpétuellement fleurie de spirées crémeuses et de discrètes lunaires, était roussie, la terre labourée par endroit. Des mats de bois brut portaient les étendards des Hauts Fonds, noirs et ocre, décorés de crins d’uriots. Les Protecteurs se précipitèrent pour les jeter à bas. Sur le tertre central, les roches grises étaient brisées. Celles qui se dressaient droites et fières renversées sur le flanc, souillées de sang et d’excréments.
Au pied du tertre, les épaules affaissées, le Mystic Yvan Mondolini se tenait immobile, la tête basse, le regard atone. Il avait retiré le long casque doré sur lequel se dressait le Dragon du troisième Clan. Il pleurait silencieusement la débâcle d’un rêve mirifique. Autour de lui, les varts respectaient sa douleur, anéantis par ce qu’ils découvraient au cœur des halliers de Brye. Soudain, un Homme Gris franchit le cercle de hêtres. Il courut vers lui en l’appelant à plein poumon : « Yvan, Yvan ! ». Mondolini redressa la tête, le regarda approcher, le visage fermé.
— Yvan ! Il faut que tu voies ce que nous avons trouvé un peu plus au sud d’ici. C’est incroyable, inimaginable.
— Nous te suivons, Lido.
Ce dernier repartit au pas de course en entrainant dans son sillage les Voyageurs, trop heureux de quitter ces lieux funestes. Ils traversèrent ainsi un vallon encaissé puis gagnèrent les hauteurs, notant ici et là des traces d’escarmouches. Les cadavres des oégirs témoignaient de la férocité des affrontements. Ils traversèrent une chênaie obscure, longèrent quelque temps un ruisseau qui bruissait de façon incongrue dans le silence étouffant du royaume forestier. A aucun moment, ils ne notèrent de présence animale ou sylvestre. La vie avait déserté cette terre de désespérance.
 
Au bord d’une large dépression les attendaient d’autres guerriers silencieux. Le Mystic traversa les rangs pour découvrir un spectacle morbide qui l’accabla davantage. L’endroit avait été le théâtre d’une lutte sans merci comme le témoignait le monceau de cadavres qui en jonchait les pentes. Au centre, la masse du Premier-Né se consumait encore, ravagé par le feu d’Elme. Autour de lui gisaient un nombre incroyable d’hommes-poissons dans de grotesques postures. L’affrontement avait été acharné.
Soudain, l’émissaire du Peuple Gris poussa un long gémissement avant de dévaler la pente. Il foula sans vergogne la charogne qui l’empêchait d’atteindre le Gasthil. Planté droit, ce dernier émergeait à peine des corps sans vie de ses tourmenteurs. Un épieu fiché dans l’œil droit, le crâne fendu en deux endroits ne suintait plus. Comme possédé, Mondolini entreprit de repousser les cadavres amoncelés autour de lui. Des Protecteurs accoururent pour l’aider. Ensemble, ils parvinrent à extraire le grand corps roux et découvrirent une multitude de blessures. Ils dégagèrent un espace sur la rocaille et l’y déposèrent avec respect. Mondolini apostropha les Hommes Gris d’une voix lugubre, presque méconnaissable.
— Recherchez l’enfant. Ce brave s’est battu comme un diable pour défendre l’Eliathan. Et nettoyez-moi ce sanctuaire de cette vomissure. 
Avec empressement, les Protecteurs s’attelèrent à cette double et terrible tâche. Ils chargèrent les cadavres hors de la combe sans ménagement. D’autres les amassèrent sur des bûchers sommaires qu’ils enflammèrent aussitôt. L’air se chargea d’odeurs nauséabondes. D’autres encore charrièrent membres, entrailles, têtes et troncs pour nettoyer les lieux. Ils recouvrirent le corps du Maître des Arts Combattants d’un linceul de roches. L’Anni-Khanna de l’Eliathan fut découverte entre les assises de Vieux Saule. Une énorme racine englobait la poignée lacée de cuir dont, seule, la lame courbe s’en extrayait. Ils furent plusieurs à essayer de l’en retirer mais en vain. Finalement le vart Muliris alla quérir leur Mystic qui pénétra jusqu’aux genoux dans l’eau putride. Il examina longuement l’inclusion. Il effleura des doigts les pourtours de la lame, l’endroit d’où elle s’échappait de l’étau de bois, puis tenta à plusieurs reprises de l’ôter. Yvan reconnut immédiatement le cadeau offert à Sans-nom lors des fêtes de Torj, deux cycles auparavant. Avec tristesse, lui revinrent à l’esprit les longues passes d’armes, les rires et les bousculades lors des nombreuses séances d’entrainement. Devant ses yeux flottait le visage souriant de l’enfant qu’il avait appris à apprécier puis à aimer.
Ses mains, gantées d’acier, reposèrent finalement sur l’écorce charnue. La mort dans l’âme, il entama une ode funèbre. Elle saluait les braves tombés afin de protéger l’enfant, et l’enfant lui-même, mort sans aucun doute sous les coups des loups venus de l’océan. Alors un ultime frémissement agita le colosse abattu. L’imploration s’insinua lentement à travers les chapes de chagrin jusqu’à son esprit d’homme de bien. Elle y déversa l’essence d’une folle espérance.
« L’enfant d’Yrathiel est sauf ! Retrouvez-le et protégez-le, seigneur des Gris ! »
Sur ces mots mourut le plus ancien des Sylvestres.


                                                                                                Yragaël