Récits d'ailleurs 
                         
Mon ptit coin de Fantasy

    

Livret trois : Galadorm.
Chapitre 16 : L'embuscade (2).

Le Négus déchaina sa frustration sur les humains, regroupés à deux pas. Les désignant à ses servants, Shéhoshar régla leur sort d’un simple geste. Les Rats se précipitèrent sur les Ecarlates. Ils les entrainèrent jusqu’au bord du gouffre. Ces derniers n’eurent pas le temps de réaliser leur triste sort. Ils basculèrent dans le vide en hurlant de terreur. Sans-nom reculait pas à pas, conscient de sa position périlleuse. Les gorgys, une fois leur sinistre méfait accompli, se regroupèrent derrière le Premier-né. Ils grouillaient et grondaient sourdement.
— Je t’ai convoqué, misérable avorton humain, et tu es venu à moi. J’ai soufflé la tempête sur l’orgueilleuse cité des miroirs. J’ai enchainé ton amie à ma suprême volonté. J’ai guidé vos pas par son entremise. Tout cela pour te soumettre. Ghaisus, l’enfant-dieu prisonnier dans sa citadelle, réclame ton retour. Mais je ne te livrerai pas aux chiens des Hauts Fonds. J’ai mieux à gagner. Car le Mur exige aussi ta présence entre les Voiles, enfant perdu. Et les Autres savent se montrer très généreux avec ceux qui comblent leurs désirs… si tu ne nous suis pas de ton plein gré, nous saurons t’y contraindre ! Choisis ta destinée, fils d’Yr’At’Thiel ! 
L’odieuse vague de terreur l’engloutit dès que le Premier-Né eut terminé sa harangue. Leur appétit putride le pressait à courber l’échine. Déterminé, le Porteur d’espoirs s’éloigna pas à pas, déterminé à résister.
— Pourquoi vous suivre, Négus Shéhoshar ? La Damoiselle Gallia d’Aliosh est morte inutilement, à cause de votre cruelle stupidité ! Vous n’avez pas voulu m’écouter. Vous avez gâché votre seule chance de vous rendre maitre de l’Eliathan. Jamais je n’accepterai de traverser le Mur !
— Mes maîtres n’ont pas à me dévoiler les raisons de leurs désirs. Ils t’ont choisi ; cela me suffit. Je te conduis à eux et je comble ainsi leur bienheureuse attente. Tes misérables artifices ne suffiront pas cette fois, nous sommes bien trop nombreux. Tu es une monstruosité, façonneur d’éther. La Lois des hommes a interdit cette pratique aux Tisseurs voilà bien des cencycles, le savais-tu ? Tu ne maîtriseras pas longtemps les flux de la Source. Tu t’épuises déjà…
Un murmure idolâtre ploya les rangs des gorgys. Sans-nom recherchait désespérément une solution, un tissage capable de l’aider mais la mort de Gallia l’empêchait de se concentrer. Là-bas, le Négus dégustait l’instant et retardait l’hallali.
— Alors, que choisis-tu ? Devrais-je te prendre par la main pour te mener jusqu’à eux ?
Le linceul fangeux resserra l’étreinte. Ses protections tremblèrent. Elles le préservaient avec peine de la douleur. Dans un éclair, Sans-nom espéra l’intervention du Néogrine comme cela s’était produit dans la clairière. En vain. De toute manière, il ignorait comment invoquer la Flamme Blanche. Percevant son désarroi, le Négus s’enivra en l’insultant copieusement. Soudain les gorgys se précipitèrent à la curée. L’issue ne faisait aucun doute. Trop nombreux, trop avides.
« Les globes, par mes Pères, sers-toi du feu ! Avant qu’il ne soit trop tard. C’est maintenant qu’il te faut agir ! Maintenant !
— Bonne amie …
— Oui, mon petit, mais pas le temps de discuter. Il faut d’abord que je te sorte de ce mauvais pas. Suis mon conseil sans tergiverser pour une fois ! L’embrasement repoussera cette horde. »
 
Face à lui, les créatures se précipitaient en se bousculant. Brusquement la marée se figea à deux pas et provoqua une épouvantable bousculade. Une multitude de globes à feu iridescents enveloppaient leur proie. Les petites boules de feu s’agglutinaient, de plus en plus nombreuses autour de l’Eliathan. Elles noyaient sa silhouette sous une clarté étincelante. Ensuite, dégorgeant de lumière, elles dressèrent un rideau entre eux auquel se heurtèrent les premiers rangs des Rats. Une forte odeur de poils et de chair brulés accompagna les grésillements et les chuintements affolés des servants du Négus. Hors de lui, ce dernier les exhortait à forcer la barrière ignée mais un indescriptible désordre régnait parmi ses acolytes. Le temps que le Négus réussisse à restaurer un semblant d’ordre, Sans-nom s’était enfui en semant derrière lui des cascades de globes incandescents. Ils bondissaient vers les gorgys et les obligeaient à chercher refuge dans les galeries latérales. Les moins chanceux périrent sous les morsures ignées ou se jetèrent dans le gouffre. Dressé au centre de ce pandémonium, le Négus éructait d’impuissance.
— Tu ne m’échapperas pas, misérable, où que tu te caches dans la cité ! Je réduirai Galadorm en cendres pour te retrouver. Ceux que tu aimes périront de ma main, dans les pires souffrances. Nulle puissance ne te protégera. Tu m’appartiens, entends-tu ! Fuis donc, tu n’as pas de refuge où te terrer.
Sans-nom courrait à perdre haleine. Une partie de son esprit, pragmatique, maîtrisait le tissage des globes à feu. Une autre, protectrice, guidait ses pas loin du gouffre et régulait son souffle et sa foulée. Une troisième, enfin, se réjouissait de l’impuissance du Négus. Il traversait la rotonde. Sans-nom tremblait de la tête aux pieds, le souffle précipité sous l’effort. Il s’arrêta, se plia en avant, les mains sur les genoux, et ferma les yeux, submergé par le chagrin.
« Il sera bien temps de pleurer quand tu seras en sécurité. Des gardes arrivent, presse-toi donc. Ce démon ne renonce pas. »
Ecoutant ce judicieux conseil, Sans-nom s’engouffra dans l’escalier. Bientôt il croisa le capitaine Liard et le baron Osvald d’Aliosh, accompagnés de nombreux soldats en armes. Le visage tendu, le père de Gallia le saisit à bout de bras. Constatant l’absence de sa fille chérie, il s’écria : « Où est ma Gallia ? ».
— Elle est morte, seigneur. Le Négus l’a précipitée dans l’abysse. 
Le gros homme poussa une sorte de feulement rauque qui ressemblait au rugissement d’un lion blessé. Il dévala l’escalier en entraînant avec lui les soldats dont les longues lances s’entrechoquaient sur les murs de pierres. Le capitaine Liard demeura auprès du garçon. Son visage exprimait une profonde et sincère sollicitude.
— Comment te portes-tu, Maître-dragon ? Que s’est-il passé ? Damoiselle Lilia n’a pas réussi à nous éclairer sur les évènements que vous avez traversés. Elle répétait seulement, « ils sont perdus, ils sont perdus… » Que vous est-il arrivé ?
L’officier posa une main large et calleuse sur son épaule. Sans-nom ne répondit pas immédiatement, bouleversé par le désespoir inscrit sur le visage du baron d’Aliosh. Le hurlement de Gallia chutant dans l’abime le poursuivait perfidement. Pourrait-il oublier un jour la détresse qui s’en dégageait, comme un reproche adressé au souverain Maître-dragon ? Il en doutait. Les sommations du Premier-Né se rappelèrent à lui. Il jeta au capitaine un regard égaré. Vers qui pouvait-il se tourner pour éloigner la menace de ses amis ? Car Sans-nom croyait fermement le Négus Shéhoshar capable des pires atrocités.
— Capitaine, ne posez aucune question, je vous en prie. Je dois quitter Galadorm sur le champ dans le plus grand secret. Conduisez-moi à la Commanderie.
 
 
 Elfe